Le cône de rayonnement d'Al-Kindī à Vitellion
Philippe Debroise  1  
1 : Université Paris Cité
UMR SPHERE

La cinématique galiléenne a mathématisé la nature en en quantifiant des aspects qualitatifs, en particulier la rapidité d'un corps en mouvement. Faut-il en déduire qu'on ignorait comment analyser mathématiquement les qualités avant la modernité européenne ? L'exemple de l'optique prouve immédiatement le contraire. Dès ses origines connues, l'optique géométrique s'est intéressée à la mathématisation de qualités visuelles, au-delà des aspects immédiatement quantitatifs du regard comme sa direction ou la grandeur de l'image perçue. Ainsi, la seconde proposition de l'optique d'Euclide établit que « pour des grandeurs égales situées à distance, la plus proche est vue de manière plus précise ». A son tour, Ptolémée étudie dans son optique la variation de la clarté du regard selon la distance qu'il parcourt. Dans les deux cas, ce sont les propriétés mathématiques et physiques du cône qui sont examinées, cône de vision, qui deviendra plus tard cône d'illumination ou de rayonnement et qui servira de base à la mathématique des intensités optiques jusqu'à Kepler (Voir Ofer Gal et Raz Chen-Morris 2005). Je propose de m'arrêter sur un moment particulier de cette histoire : l'approfondissement de cette mathématique du cône par Al-Kindi dans le De aspectibus (l'original arabe étant perdu), et son acclimatation dans la culture scolastique européenne du XIIIe siècle, en particulier son devenir dans la Perspectiva de Vitellion. Dans sa proposition 22, Al-Kindi propose d'expliquer les raisons mathématiques de l'affaiblissement d'une puissance, qu'elle soit lumineuse ou visuelle, selon l'éloignement de son objet. Sa démonstration, j'espère le montrer, est une variation sur celle proposée par Euclide, appliquée cette fois à un cône de rayonnement compris comme plein et continu. Son utilisation de la théorie des rapports la rapproche d'une quantification des qualités, en l'occurrence la puissance lumineuse, mais Al-Kindī, dans son optique comme dans sa posologie, respecte la séparation aristotélicienne entre quantités et qualités, augmentation et renforcement. Vitellion suit de près la démonstration de l'Al-Kindī latin, mais la disperse en 3 propositions du livre II (6, 7 et 22) et la reformule. En introduisant l'idée de quantité de lumen, il adopte résolument une position quantitative, reflétant le contexte intellectuel de quantification des qualités propre à la société scolastique de la deuxième moitié du XIIIe siècle. Il complète également cette démonstration d'une explication mathématique de la raison pour laquelle un rayon est d'autant plus fort qu'il est court (prop.23 et 24). Ce complément illustre l'influence d'un principe étranger à Al-Kindī et formulé dans le Liber de causis, et transpose en mathématique le principe mathématique selon lequel une vertu unifiée est plus forte qu'une vertu dispersée. A travers cette étude de cas, je souhaite ainsi montrer comment une même démonstration acquiert un sens nouveau quand elle est acclimatée dans un nouveau milieu culturel.



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