Experimentum et experientia chez Robert Grosseteste : théologie de la lumière et dioptrique de la Révélation
Matthieu Statius  1  
1 : Université de Strasbourg
Université de Strasbourg, CNRS

Alistair Crombie a tenté de démontrer que Robert Grosseteste était un candidat de choix au rang de précurseur d'une science expérimentale (Crombie, 1962). Il s'opposait ainsi à la très discutée position de Duhem à propos d'une matrice française et médiévale de la science moderne (Duhem, 1913). La recherche a réfuté la thèse de Crombie en lui opposant l'intérêt prétendument perdu de Grosseteste pour les sciences naturelles dans la deuxième partie de sa vie lorsqu'il fut magister au studium franciscain d'Oxford puis évêque de Lincoln. Celui-ci aurait préféré la théologie et la pastorale à l'optique. Pour autant, faut-il sous-évaluer ainsi la figure de Grosseteste dans l'histoire des sciences en raison de ce virage théologique ? À chercher un prédécesseur à Descartes, on aboutit nécessairement à une impasse.

Notre communication voudra donc repenser le paradigme dominant : l'histoire de la science médiévale se pense par et avec la théologie médiévale et non contre elle. Raison et foi ne se contredisent pas. Pour ce faire notre point d'entrée dans le sujet sera une interrogation lexicologique, concernant l'emploi des termes experimentum et experientia. Fréquemment utilisés l'un pour l'autre, ces termes ne renvoient pas à la même réalité épistémologique : selon les usages, l'un désigne l'expérience sensible et se trouve intimement lié au contexte de redécouverte de la philosophie naturelle d'Aristote, l'autre désigne l'expérience mystique, la meilleure manière de connaître Dieu et d'avoir l'expérience de sa douceur et se trouve donc fortement teinté de néoplatonisme. À cette expérience mystique l'experientia joint la connaissance issue du don de sagesse. Comme le dit Bonaventure en une formule lapidaire : «cognitio per veram experientiam est in Sapientia».

Mais, s'ils sont si différents, pourquoi les deux termes sont-ils si souvent confondus dans la pensée médiévale et a fortiori chez Grosseteste ?

Notre hypothèse est que cette confusion n'est pas fortuite. Il ne faut pas opposer diamétralement les deux types d'expériences car experimentum et experientia font partie d'un itinerarium ad deum cohérent fondé sur la complétude des méthodes et voies de la connaissance. L'expérience sensible prépare l'homme en le rapprochant d'une connaissance de l'œuvre divine car c'est en étudiant la lumière, exemplar de la bonté et de la beauté divine dans le monde terrestre, en étudiant sa propagation et ses lois que se lit la Vérité du Verbe manifesté dans la nature. L'expérience mystique, quant à elle, lui dévoilera par une illumination spéciale les mystères de la Révélation tenus cachés. Les deux termes qui recouvrent ces deux méthodes se rencontrent dans le projet théologique grossetestien. En interrogeant leur emploi, on pose à nouveaux frais la question du statut des sciences médiévales.



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