Home

Le renouvellement des perspectives de lecture et d'interprétation des savoirs anciens, à travers les textes ou d'autres formes de matériaux et de supports, a permis d'accorder progressivement une pleine légitimité – jadis sous-estimée – à la pratique d'une histoire des sciences. Celle-ci a d'ailleurs été étendue à une histoire des savoirs et des pratiques dans une perspective sociologique et anthropologique plus large. Quant à la notion même de science, elle reste largement sujette à débat et échappe le plus souvent aux exigences de toute définition stricte. À la suite des travaux de Gérard Simon (pour l'histoire de la physique) ou encore de Jacques Roger (pour l'histoire de la biologie), un renouveau historiographique a invité à resituer la pensée, les savoirs et les pratiques scientifiques dans leur contexte, pour les envisager au sein de leur « cohérence propre » dans un cadre intellectuel et culturel qui dépasse celui de la science occidentale contemporaine. L'étude porte alors sur une temporalité plus large et sur un espace géographique plus étendu, englobant les influences mutuelles et les phénomènes de transmission. Il s'agit encore de mettre en évidence la valeur scientifique de cette pensée antique et médiévale, pour rompre avec la conception d'une rationalité qui serait l'apanage de la pensée moderne, héritière de la révolution scientifique du XVIIe siècle. En effet, longtemps soumises aux visions positiviste et téléologique de l'histoire des sciences, les sciences anciennes sont considérées dans leur rapport à cette modernité vue comme l'émergence d'un savoir érigé en véritable science par l'acquisition d'une méthode, qui connut son aboutissement avec les progrès majeurs du XIX-XXe siècle. Les sciences anciennes, quant à elles, étaient, au mieux, lues avec admiration par les tenants d'une lecture continuiste et progressiste, en recherche du précurseur de théories récentes, ou avec condescendance par les défenseurs d'une vision discontinuiste, soulignant les erreurs du passé corrigées par la modernité (Roger 1964). Cette attitude participe d'une disqualification des savoirs et des pratiques, qui seraient nécessairement dépassés ou « pré-scientifiques ». Ce colloque s'inscrit à la suite des recherches qui envisagent une histoire globale des sciences et remettent en cause une lecture eurocentrée, selon laquelle la science aurait pris naissance avec les Grecs et l'activité spéculative, et connu un véritable essor au XVIIe siècle avec l'émergence de la méthode expérimentale (Rashed 1984, 1997). En particulier, la place assignée aux sciences arabes médiévales dans l'histoire est interrogée sous un jour nouveau (F. Sezgin, D.R. Hill, G. Saliba, C. Burnett, etc.). Les travaux majeurs de R. Rashed ont également promu une approche déterritorialisée. Ils accordent une place importante aux échanges et à la circulation (hommes, textes, objets, ...) et remettent en cause « l'occidentalité de la science classique » (Rashed 1984), balisant ainsi un champ d'études en y établissant les normes de rigueur : interroger son objet et ses méthodes, porter un regard critique sur les textes, etc. (Crozet 2004) Nous nous situons dans la continuité des résultats du projet de recherche Speculum Arabicum (UCLouvain, 2012-2017) et donnons suite aux pistes d'investigation qui en ont émergé (de Callataÿ, Cavagna & Van den Abeele 2021). Alors que la publication de synthèse qui en a découlé aborde la question des croisements culturels en ouvrant plusieurs dossiers thématiques (connaissance du ciel et de la terre, étude et usage du monde animal, diffusion de la connaissance), nous souhaitons revenir sur les enjeux méthodologiques propres à l'étude de l'histoire des sciences et de leur transmission. L'approche se veut dynamique et déterritorialisée, convoque l'expression des savoirs sous diverses formes – écrites, orales, iconographiques, archéologiques, artistiques – et souhaite explorer le(s) contexte(s) de leur émergence et de leur construction. La question des supports sera ainsi envisagée, en lien avec la diffusion manuscrite des ouvrages scientifiques et du rôle joué par la transition vers l'imprimé. De plus, l'influence des institutions sera aussi interrogée, en particulier le rôle des universités, des écoles, des bibliothèques, des hôpitaux et plus largement des politiques urbaines comme vecteurs d'intégration et de transmission des savoirs. Enfin, si la science ne peut s'inscrire que dans une histoire longue, ce colloque sera l'occasion de réinterroger le rapport de l'histoire des sciences à l'historicité : est-ce que le système de « vérités » supposées acquises et atteintes à partir de la modernité qui les a construites détermine à lui seul ce qui par le passé est correct ou non, ou dans le passé appartient à la science ou non (Simon 1991) ? L'histoire des sciences est-elle alors une histoire comme les autres ? A-t-elle une temporalité propre ? Ses exigences, du fait qu'elle traite de la science, sont-elles les mêmes que pour une histoire économique, culturelle, sociale ? Les normes de la science sont-elles les mêmes en tout temps, en tout lieu ? Doit-on lire les événements scientifiques comme éléments d'une histoire, au sein de leur histoire, ou à partir de leur histoire ? (Macherey 2007) Dans ce sens, quel statut accorder aux éléments constitutifs d'un savoir, inscrit dans sa temporalité, comme les savoirs alchimiques ou astrologiques ? Comment appréhender un discours selon des normes qui s'écartent de celles de notre temps, et qui ne sont pas nécessairement partagées entre toutes les disciplines (domaine littéraire ? scientifique ? philosophique ? médical ?), et qui elles-mêmes ont vu leurs contours fluctuer ? Comment dépasser un cloisonnement disciplinaire (notamment entre lettres et sciences), qui a longtemps nourri un jugement rétrospectif négatif sur les savoirs anciens ? En somme, dans cet appel, nous souhaitons : - Éviter les écueils d'une continuité cumulative en histoire des sciences ou à l'inverse d'une altérité absolue entre sciences anciennes et sciences modernes ; - Réinterroger la dimension rationnelle ou scientifique des travaux et des expériences et observations qui nous ont été transmises (à l'écrit ou à l'oral) ; - Réinterroger les aspects relatifs au développement d'une méthode scientifique et à son exigence relative chez les penseurs des périodes antérieures ; - Explorer le rapport entre autorité et marginalité dans le développement des savoirs ; - Aborder les questions relatives à la langue et aux parcours philologiques, comme véhicule et mode d'expression et de transmission des savoirs (traductions et commentaires, emploi des citations dans les compilations, etc.) - Interroger la valeur de la culture orale dans un certain contexte et en confrontation avec l'émergence et la persistance de l'écrit ; - Interroger les classifications des sciences au cours de l'histoire ; - Explorer l'interconnexion entre différentes sciences ainsi que les échanges des savoirs et des savoir-faire entre elles, - Interroger la notion de temporalité en histoire des sciences ; - Explorer les lieux et pratiques du savoir : universités, bibliothèques, hôpitaux, etc. ; - Analyser les espaces géographiques qui ont été des points de contact dans le développement de l'histoire des sciences.

Online user: 1 Privacy
Loading...